Le CES 2024 vient de fermer ses portes, et c’était un « bon cru » d’après ses organisateurs avec ses 135,000 visiteurs (+4% vs. 2023 cf. revue 2023) venant de 150 pays, ses 4300 exposants (dont 1400 startups), et ses 250 conférences dont quelques Keynotes apportant leur lot de CEOs voire de stars (Eva Longoria a fait une apparition remarquée au Keynote L’Oréal).
De plus, le CTA, l’organisation derrière le Consumer Electronics Show, a fêté ses 100 ans, créant des évènements périphériques supplémentaires pour ses membres.
Les grands thèmes sans surprise de cette année ont été l’IA, le développement durable, l’inclusion, mais aussi la santé & le bien-être et la mobilité avec une forte présence du secteur automobile ; depuis quelques années l’industrie s’est en effet approprié le CES pour présenter les technologies et futurs concepts, et on a noté la présence notamment de Geely, Polestar, Fisker, Hyundai, Kia, Mercedes-Benz, BMW et des constructeurs chinois ; en revanche il y a eu l’absence remarquée de General Motors, Ford et Stellantis, notamment due à l’impact économique des grèves de 2023 aux Etats-Unis.
Et de l’Intelligence Artificielle partout, mais finalement pas la déferlante inepte à laquelle je m’étais attendue. Bien sûr, le mot était dans toutes les bouches et sur la plupart des affichages des stands, mais de façon plutôt raisonnée ; les entreprises exposantes intégrant souvent des briques IA tout en restant centrées sur leur cœur de métier.
En revanche le terme « Metaverse » avait quasiment disparu des descriptifs, même si on voit poindre de façon beaucoup plus construite le terme « Industrial Metaverse », qui englobe la XR, les jumeaux numériques, mais aussi l’IA et l’IoT, cœur du Keynote de Siemens ; ou des Métavers plus axés sur le divertissement comme le Caliverse, « métavers hyper réaliste » qui a annoncé un partenariat avec Tomorrowland.
Enfin la French Tech a confirmé à nouveau son intérêt pour le salon du CES, en mettant en avant 135 startups françaises, avec cette année un focus particulier sur la « SportTech » (Jeux Olympiques 2024 obligent).
La XR, pas seulement des solutions mais désormais un écosystème international
Les sociétés œuvrant dans les technologies immersives étaient probablement aussi nombreuses que l’an dernier, sinon plus, mais plus éclatées dans les différents sites/halls, ce qui a rendu l’exercice d’identification (et de visite) plus complexe.
Si on se fonde sur la classification de la base de données « exposants » du CES, 337 sociétés étaient classées dans l’annuaire comme faisant partie du secteur AR/VR/XR/METAVERSE, soit 8% des exposants, mais l’étendue des profils était très vaste : fournisseurs de solutions et de contenus de tous les secteurs, fabricants de lunettes/d’optiques/de lentilles mais aussi des entreprises du monde de l’haptique, de l’audio et (plus nouveau) de l’olfactif.
Il était aussi intéressant de voir la venue en force de l’Asie sur notre secteur de la XR : si le nombre d’exposants sur le domaine venait majoritairement des Etats-Unis (91), les Sud-coréens (86 !) et les Chinois (60) étaient largement représentés. Le pays suivant était la France avec 18 exposants, puis le Japon avec 8 entreprises représentant le top 5 de cette édition 2024.
Tendances secteurs de la XR : l’automobile, le sport et le handicap
Il y avait un certain nombre de purs fournisseurs de solutions logicielles XR sur le CES, même si beaucoup moins que je ne l’aurais souhaité. Il est vrai que ce salon reste une bonne plateforme si on souhaite (1) mettre en lumière une solution très innovante et différenciante (et avec un peu de chance obtenir un Award), (2) se déployer sur le marché américain et tester son produit ou (3) créer des partenariats internationaux (comme BavARt avec la signature d’un MOU avec la Corée) ; sinon le ticket reste assez onéreux pour participer au CES.
En termes de secteur, il est un peu incontournable de citer l’industrie automobile, tant elle est présente sur la plupart des stands du CES, que ce soit au travers de concept cars, d’innovations techniques ou de solutions durables.
La bonne nouvelle étant que la XR commence à être bien présente dans l’esprit et les projets des fabricants et des fournisseurs de solutions automobiles. Une tendance particulièrement intéressante est que nos technologies peuvent servir les efforts des industriels du secteur pour maximiser l’usage des capteurs présents dans les véhicules ; ainsi Valéo présentait une application en VR, qui grâce à l’utilisation des caméras à l’intérieur et à l’extérieur de la voiture, permet de créer des expériences visuelles intégrant le flux des caméras, mais aussi du contrôle gestuel.
La marque BMW de son côté utilise elle aussi les capteurs et caméras, mais dans l’optique de futurs possesseurs de lunettes de RA, qui pourraient se connecter au véhicule et conduire avec des informations qui apparaissent dans le champ de vision (conducteur) ou du divertissement (passagers). La démonstration exécutée sur les XREAL air2pro, montre déjà que la solution se voudrait à terme agnostique en termes de matériels.
L’utilisation de la XR peut aussi se traduire par l’intégration de nouvelles technologies telle que le « pare-brise augmenté » ; ainsi la société Eyelights démontrait son tout dernier pare-brise où s’affichent les informations du tableau de bord pour le conducteur, et de l’infotainment pour le passager.
Des projets qui laissent percevoir l’ampleur des opportunités futures entre les solutions XR et les véhicules de demain.
L’autre secteur riche en nouveaux entrants est le sport. Approcher des utilisateurs captifs, fans d’une activité et prêt à débourser de l’argent pour leur sport est effectivement une cible intéressante. Ainsi Oostlong a développé des lunettes pour les skieurs grâce à un ancien professionnel, qui a pu impulser les bonnes spécifications, les bons usages, mais aussi le bon marketing. Everysight se concentre quant à lui sur les cyclistes, avec des lunettes de 42gr à $399 commandables sur leur site. Enfin les lunettes Solos n’ont pas d’écran mais permettent à des sportifs d’interagir avec le système connecté au smartphone via BT pour écouter de la musique ou répondre au téléphone.
Enfin une tendance qui n’est pas nouvelle mais qui se confirme, est l’utilisation de lunettes pour l’accessibilité. Ainsi Xander était de nouveau au CES 2024 avec ses dispositifs pour malentendants, et Lumen lance fin 2024 en Europe une paire de lunettes pour malvoyants, qui avec ses 6 caméras, son IMU et ses 90fps, remplacerait les chiens d’aveugles en offrant les mêmes fonctionnalités/gestuelles. D’autres fabricants pourraient arriver sur le marché dans les années à venir, sur un créneau où il y a un fort besoin, une utilisation ciblée et une opportunité de travailler de concert avec les assurances médicales publiques et privées pour faciliter l’accès aux produits.
Les lunettes connectées, un secteur en pleine ébullition
Comme toujours, fidèle à sa ligne de conduite historique et malgré la sortie prochaine du Vision Pro (9 février aux Etats-Unis), Apple était le grand absent du salon. Meta, Microsoft et Rokid ont aussi fait l’impasse.
Magic Leap démontrait ses désormais bien connues ML2 dans une suite, et le produit de Lynx était présent sur le stand Ultraleap dont la technologie est nativement présente dans le casque.
La grande surprise (au moins pour moi) était l’annonce d’un casque de réalité mixte de Sony lors du Keynote Siemens. Ce produit conjointement développé, a pour but de visualiser des rendus 3D issus des outils de CAO du groupe Allemand, et ce pour les designers & les ingénieurs avec un mode collaboratif. Un produit à priori avec des spécifications haut de gamme avec des écrans 4k et la dernière génération de puce Qualcomm XR2 Gen2, annoncée elle aussi au CES. Une incursion attendue de longue date de la part de Sony dans le segment professionnel de la XR, historiquement focalisé sur le grand public, du Glasstron en 1996 (!) jusqu’aux casques VR de la PlayStation.
Sur le front des produits de réalité augmentée/displays secondaires, il y a une vraie offre qui se construit avec de plus en plus de marques qui se positionnent sur le marché. Au point que j’en ai manqué quelques-unes dans l’immensité du salon ; même des marques comme Sharp proposait un produit sobrement appelé Sharp XR et lancé cette année seulement au Japon.
Dans les points notables, Xreal a présenté ses différents produits en démonstration sur leur stand sur lequel ils avaient largement investi : Air2, Air2pro et surtout Air2 Ultra, leur nouveau modèle. Toujours connecté à un téléphone (mais seulement les derniers Galaxy S de Samsung pour l’instant), le produit de 80gr a désormais deux caméras/capteurs frontaux 6DoF pour mapper l’environnement, et pouvoir utiliser le contrôle gestuel (pas de photos, ni vidéos). Joli produit en finition titanium, la résolution est la même que le Air2 (déjà bonne) et le champ de vision passe à 52 degrés (vraiment mieux) ; la démonstration du contrôle gestuel n’était pas très convaincante, mais elle devra être retestée sur un produit final et dans de meilleures conditions. Quand même un beau petit produit, et surtout c’est probablement une bonne stratégie d’ajouter peu à peu des fonctionnalités sans nuire à l’esprit de la gamme. Le produit est en pré-commande pour les développeurs à €799.
Juste à côté, se trouvait le stand du petit poucet Nimo, incarné par son très populaire fondateur Rohildev, avenant et accessible pour tous les visiteurs. Le produit est intéressant, avec un positionnement légèrement différent de son célèbre voisin, dans la mesure où l’intelligence est dans un boitier minuscule, lui-même compatible avec d’autres lunettes (dont XREAL). L’ensemble est un dispositif de bonne tenue, agréable à porter avec de solides spécifications: 128GB mémoire, 8GB flash, 3H batterie, 50deg de champ de vision, Snapdragon XR2, BT and WIFI. Le cas d’usage est clairement posé : bureau virtuel avec des écrans multipliables à l’envie et interchangeables de façon fluide.Le produit est ouvert aux précommandes à 399$, livrable dans 6 à 8 mois.
TCL quant à eux, ont présenté leur gamme, avec une addition d’un nouveau RayNeo X2 Lite, mais difficile d’avoir une démonstration cette fois-ci en dehors de celle du stand, pas très concluante. Les spécifications sont pourtant intéressantes : 60gr, 1500nit de luminosité, puce Qualcomm Snapdragon AR1 Gen1, connectivité sans fil, 3h de batterie…. Il faudra définitivement le tester quand le produit sera disponible en Europe (pas de date pour l’instant).
La surprise venait d’un nouvel acteur de Shenzhen au nom improbable, NRMYW, qui présentait un produit sur un beau stand, très stylé : une paire de lunettes binoculaires à lentilles transparentes, en version standalone. Tout est effectivement intégré dans ce design un peu gros mais très acceptable pour un premier modèle : pas besoin de téléphone, l’intelligence est intégrée dans ce produit de …100gr ! Les spécifications sont au niveau : puce processeur 8core, 60 degrés de champ de vision, 128Gb de stockage et 16Gb de mémoire vive. Ils ont fait un choix intéressant : une télécommande style téléviseur avec au dos un clavier Qwerty. Le coup d’essai a quelques défauts (résolution un peu basse (840*640) et luminosité faible (700nits)), mais la direction est très bonne. A suivre.
Enfin L’inépuisable Vuzix annonçait sur son stand un nouveau produit le Z100, une paire de lunettes de type écran secondaire de 36gr, connectable en Bluetooth, monocolore (mais produit final en couleur), 48h de durée de batterie, $799 en version développeur dès février 2024 en Europe. Un segment nouveau pour Vuzix, qui devra y trouver les cas d’usage.
Des accessoires pour la XR : outils haptiques, contrôleurs, et solutions olfactives sur le devant de la scène
Ce qui m’a d’abord frappé sur le sujet des accessoires haptiques, c’est le nombre de sociétés qui se positionnent désormais sur le créneau des gants. Outre les entreprises déjà connues comme HaptiX, qui continuent leur progression en termes de réduction de la taille de la solution, de nouveau venus avec des alternatives technologiques étaient présents.
PalmPlug par exemple, choisit de compléter les sensations haptiques avec des leds de couleur sur les gants, partant du postulat que la vue réagit plus vite que les sensations.
Afférence de son côté, développe un système haptique « neuronal », non pas sur le bout des doigts mais autour de la base des doigts pour activer les nerfs du cerveau.
Enfin dans les produits remarquables, la startup japonaise Kurimoto, qui utilise un fluide noir réagissant aux impulsions électriques pour créer un système haptique dit « passif ». Les cibles sont le jeu dans un premier temps, puis le monde industriel.
On perçoit aussi que le marché des casques et lunettes grossit, car des entreprises se créent autour de la navigation et de l’UX, en créant des contrôleurs plus intuitifs, et plus orientés « solutions mains libres ».
Aavaa par exemple s’est spécialisée dans les technologies d’interface cerveau-ordinateur et déploie des produits qui analysent et interprètent les mouvements des yeux et du visage pour produire une action, offrant une solution mains libres pour les lunettes connectées.
DoublePoint offre lui des outils de contrôle de tout appareil via une connexion Bluetooth avec une montre connectée qui devient l’épicentre de toute la gestion des objets Bluetooth, dont IoT et lunettes connectées par exemple.
Mais dans cette catégorie, le produit qui m’a le plus surprise est sans aucun doute le « mouthwear » d’Augmental, un accessoire qui ressemble à une gouttière buccale, bourrée d’électronique et qui, via une connexion Bluetooth, permet de piloter à distance une interface avec sa langue. Je n’ai bien évidemment pas pu la tester, mais si elle s’avère stable, je perçois déjà un nombre de cas d’usage intéressants pour cette technologie !
Enfin une nouvelle tendance que j’ai pu remarquer est la présence de sociétés qui se concentrent sur l’olfactif, et dont l’objectif est d’ajouter des odeurs dans les expériences utilisateurs.
Dans ce contexte, Aromajoin a créé des diffuseurs d’odeur assez spectaculaires, qui ressemblent à des enceintes rouges très design, pour émettre des odeurs en version « statique ». Le plus intéressant est cependant leur « collier » contenant jusqu’à 6 capsules qui permet d’envoyer des odeurs en conjonction avec les images d’un casque AR/VR par exemple. Le produit est lancé en crowdfunding dès mai 2024.
Iromascents s’est aussi positionné sur ce marché, avec un boitier rond d’une vingtaine de centimètres de diamètre, connecté à une plateforme qui permet d’éditer un film pour envoyer les odeurs à des moments précis la visualisation. 45 chambres rechargeables sont présentes dans le boitier, à base de liquides (et non de senteurs solides comme les autres concurrents). Ils ont développé une offre pour le Retail afin de pouvoir pallier les problèmes de vols, en offrant la possibilité de tester des parfums sans mettre les bouteilles à disposition. Iromascents n’a pas de produit portable ou intégrable dans leur feuille de route.
D’autres entreprises présentaient des solutions olfactives, et on pouvait « sentir » un développement d’offres nouvelles répondant à des problématiques réelles. Mais le salon fermait ses portes et après 4 jours de pérégrinations, j’ai rendu les armes !
Le prochain CES est déjà planifié comme tous les ans, donc rendez-vous du 7 au 10 janvier 2025 à Las Vegas. (NB : Et les afficionados de l’automobile pourront enchainer l’an prochain avec le salon automobile de Detroit nouvellement programmé du 10 au 20 janvier 2025 !!!!)